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FOCUS - Human Rights N. 3 - 29/12/2017

 Les référents jurisprudentiels extra-systémiques dans la jurisprudence de la Cour EDH et de la Cour IDH

La circulation des jurisprudences est désormais un sujet classique dans les études de droit international. Si le phénomène intéresse tout type de juridiction, la jurisprudence des organes internationaux et régionaux des droits de l’homme s’est avérée être un terrain d’étude idéal pour le sujet. Dans cet article, nous nous interrogeons sur la question de savoir s’il existe une spécificité dans la technique de référence aux jurisprudences extra-systémiques par les cours régionales des droits de l’homme. Ainsi nous nous proposons d’étudier le recours aux référents jurisprudentiels extra-systémiques par deux cours – la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après Cour EDH) et la Cour interaméricaine des droits de l’homme (ci-après Cour IDH) - dans le cadre de l’analyse de leurs méthodes d’interprétation. Les cours régionales des droits de l’homme opèrent dans la subtile ligne de frontière entre droit international et contentieux des droits et libertés. Organes juridictionnels institués pour la garantie des conventions respectives, leur spécificité découle tout d’abord à l’objet de leur activité, les droits de l’homme, autour duquel s’est développée une branche du droit international des traités marquée par l’entrée de l’être humain dans les relations internationales jusqu’alors interétatiques. La spécificité de leur activité tient, ensuite, à la forte ressemblance de teneur entre les catalogues de droits contenus dans les conventions dont elles assurent la garantie et ceux inclus dans d’autres textes internationaux de protection des droits et libertés, ainsi que dans les constitutions nationales de leurs États membres. Leur spécificité tient, enfin, à l’espace géographique de leur compétence, qui limite leur juridiction aux violations accomplies par les États membres appartenant à une « région » déterminée, avec des répercussions sur le contexte de travail de ces organes. Pour ces raisons, le fonctionnement et les méthodes interprétatives de ces cours – et notamment de la Cour EDH et de la Cour IDH en raison de leur ancienneté et de leur plus grande effectivité - ne cessent d’intéresser la doctrine. En ce qui concerne plus spécifiquement le rôle des deux Cours dans la transjudicial communication, plusieurs auteurs à la fois européens et américains ont récemment mis en évidence l’émergence sinon d’un dialogue, d’une certaine tendance des deux Cours à se citer mutuellement et à avoir recours à beaucoup d’autres référents extra-systémiques. Dans son ouvrage consacré aux « interactions entre les normes internationales relatives aux droits de la personne », Sandrine Turgis a montré que la technique de la référence aux jurisprudences d’autres organes est un des « vecteurs » de la « fécondation croisée » entre les systèmes de protection des droits de l’homme, du droit humanitaire et du droit des réfugiés, qui pourrait avoir comme conséquence la progressive construction d’un corpus juris international des droits de la personne. Dans cet article, nous ne prétendons pas de parvenir à des réponses plus complètes sur l’état d’avancement d’un corpus juris des droits de l’homme comme conséquence des interactions entre les juridictions considérées. Plus modestement, nous essayerons d’esquisser le rôle des Cours européenne et interaméricaine des droits de l’homme dans la transjudicial communication en matière de droits de l’homme, en examinant selon une méthode à la fois quantitative et qualitative leur pratique du recours aux référents jurisprudentiels extra-systémiques émanant d’autres organes internationaux dans leurs raisonnements judiciaires. L’approche d’ouverture de ces deux Cours aux jurisprudences extra-systémiques est déjà révélée par une lecture aléatoire de leurs jurisprudences. Pour vérifier les proportions de ce phénomène et mieux appréhender l’attitude des deux Cours, nous avons décidé de sélectionner les décisions objet d’étude par une recherche par mots-clés, en ciblant l’analyse autour d’un type de référent extra-systémique : la jurisprudence ou quasi-jurisprudence de cours et organes quasi-juridictionnels internationaux impliqués dans la protection des droits de l’homme. Nous avons ainsi choisi : le Comité des droits de l’homme des Nations Unis (ci-après CDH), la Cour et la Commission africaines des droits de l’homme ainsi que, respectivement, la Cour EDH pour la recherche sur la jurisprudence de la CIDH et la Cour IDH pour la recherche sur les arrêts de la CEDH. Nous avons inclus ensuite la Cour internationale de justice (CIJ) en tant que juridiction internationale à vocation universelle compétente en matière de résolution des conflits interétatiques, y compris pour la violation de conventions en matière de droits de l’homme. Nous avons décidé d’inclure également la Cour pénale internationale et les tribunaux pénaux internationaux qui, dans leur fonction d’application du droit pénal international, connaissent des affaires de violation des droits de l’homme et, par conséquent, entretiennent avec les juridictions des droits de l’homme des rapports d’influence mutuelle déjà documentés. Le phénomène de la circulation des jurisprudences, notamment en droit international, est essentiellement fondé sur une exigence d’harmonisation des solutions interprétatives pour pallier le « risque de fragmentation du droit international ». En matière des droits et libertés, il apparaît que l’harmonisation n’est pas le seul fondement du recours aux référents extra-systémiques. Une étude sur le recours aux « précédents » internationaux par ces deux Cours, à la lumière de leurs méthodes interprétatives spécifiques, permettra ainsi de comprendre si cette pratique répond aux critères interprétatifs traditionnels du droit international, ou bien si elle se fonde davantage sur les exigences spécifiques de protection des droits de l’homme. Dans une première partie, nous verrons que dans l’interprétation des conventions en matière de droits de l’homme, le référent extra-systémique, y compris le droit international jurisprudentiel ou quasi-jurisprudentiel, constitue un outil essentiel (I). Dans la deuxième partie, nous proposerons une comparaison entre les approches de la Cour EDH et de la Cour IDH dans le recours aux référents jurisprudentiels extra-systémiques internationaux (II). Cela permettra de mettre en exergue les convergences et divergences entre les approches des deux Cours : les premières découlant de leur interprétation commune du rôle de cour des droits de l’homme, les secondes dérivant de la différente interprétation de leur fonction de cour régionale… (segue)



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